[FRANÇOIS CAYOL]                                                                    © Isabelle Van Welden

[version pour le site internet]               2009, 2011,  2012           




Depuis des années François Cayol parcourt la planète pour dessiner et son œuvre se construit dans une relation intense avec la nature, pourvoyeuse à l’infini de motifs, d’environnements et de temporalités. Ainsi ses dessins sont-ils parcourus par les durées infiniment diverses de l’animal, de la figure humaine, du végétal et du minéral, de l’extrême fugitivité d’un battement d’aile d’insecte ou d’oiseau aux centaines d’heures passées à dessiner la montagne à l’imperceptible incommensurable durée.



L’ANIMAL


Omniprésents dans l’œuvre, insectes, oiseaux, reptiles, rongeurs, petits mammifères, amphibiens sont croqués à la volée sur les carnets, dessinés ou gravés pour eux-mêmes tels Sauvé des eaux et Athena noctua, ou encore montrent une tête, une plume dans un coin des grands dessins, rompant le temps d’une bienfaisante récréation le silence et l’immobilité du dessinateur attelé, des heures durant, à son labeur.


Sauvé des eaux [Dry points - Grillon]

C’est un grillon gravé à la pointe sèche.

Ce n’est pas le grillon du foyer, qui vit lui à l’abri, recherche la chaleur et l’obscurité, et dont la « voix chevrotante, aiguë et perçante à la fois, résonnait dans la maison et paraissait scintiller comme une étoile au milieu de l’obscurité qui régnait au dehors (1). »

Il y a environ 2400 espèces de grillons, dit l’encyclopédie. Ce sont des orthoptères, ce qui signifie qu’ils ont les ailes droites. Les élytres, ailes supérieures, ont perdu leur fonction de vol pour privilégier celle du chant. D’un côté, une rangée de dents tient lieu d’archet et de l’autre le bord est renforcé pour que cet archet puisse le gratter. Entre les deux, une aire membraneuse dite « miroir » amplifie les sons (2). Ce grillon-ci est du genre Gryllus. Il vit dehors, fait son terrier dans la terre du pré.

Sauvé des eaux le 1er mai. Jour de la grande inondation. La Prée.

Ce jour-là, dans le centre de la France, des trombes d’eau noyèrent la campagne. Recueilli dans le tourbillon, le grillon fut posé à la lumière sur le seuil de la maison et dessiné. Il est représenté de trois quarts arrière, ses pattes encore toutes mouillées étalées autour de lui, encore tout étourdi mais déjà en train de se remettre en marche, avec une antenne qui se dresse et l’autre qui inspecte le sol.

Sauvé des eaux est mort depuis belle lurette. Il n’y a pas seulement Moïse, à chacun sa longévité. Mais, sauvé en mai, a-t-il vécu jusqu’à l’été ? Et, si c’était un mâle, a-t-il alors stridulé ? Mâle ou femelle et quoi qu’il soit advenu de lui, le grillon avait été recueilli et dessiné.

Plus tard il a été gravé. Précis et délicats, le dessin initial, les reliefs créés lors de son report à la pointe sèche sur le métal et l’encrage de la plaque collaborent pour restituer le mélange de fragilité et de vitalité qui émane du petit corps de l’insecte miraculé, aussi bien que la spécificité de ses différentes parties anatomiques : les pattes avec leurs articulations et leurs poils ou piquants, les élytres rigides, l’abdomen arrondi plus tendre. L’exactitude du trait rend hommage à la science tout autant qu’à la nature : chacun de ces éléments a une fonction vitale et a été pris en compte par l’entomologie.


(1)Charles Dickens, « Le Grillon du foyer », dans Contes de Noël, ed. Jean Claude Lattès, 1987

(2)Encyclopaedia Universalis


Athena noctua [Dry points – Chouette chevêche]

C’est une chouette chevêche, gravée à la pointe sèche elle aussi.

C’est cette chouette qui est l’attribut animal de la déesse Athéna, dont elle symbolise l’intelligence et la sagesse, et elle était gravée sur une monnaie athénienne appelée « chouette ».

L’encyclopédie la décrit ainsi : « Moins franchement nocturne que les autres Strigiformes, la Chevêche sort souvent dans la journée […] [ses] cris […] sont beaucoup plus variés qu’on ne le croit d’ordinaire. Les plus fréquents sont des jappements répétés : ki-jou, gri-ou, vi-ouou, ou bien encore iaou et des coups de sifflet stridents : kiff, kiffkiffkiff…, que la Chevêche émet chaque fois qu’elle est dérangée (3). »

A 2 heures de la tarde. 9 novembre. La chouette de l’oued Chiba.

L’oued Chiba est situé sur la côte orientale de la péninsule du Cap Bon, au nord-est de la Tunisie, qui est une région de passage importante pour les oiseaux migrateurs dans leurs périples entre l’Europe et l’Afrique et qui abrite également des Strigiformes, ordre dont fait partie la famille des Strigidae à laquelle appartient la chouette chevêche.

Alors que le dessinateur, installé dans cet oued près d’un figuier, travaillait à un “ grand dessin ”, il fut sollicité par la voix aiguë et aigre de cette chouette chevêche. Il raconte qu’elle se mit à tourner autour de lui, mécontente de sa présence, voulant qu’il s’en aille. Puis finalement elle voulut bien, à la rigueur, être croquée par cet importun, et même, posa.

Il l’a dessinée dans deux positions. La tête de face, perpendiculaire au plan du corps, les yeux grands ouverts, le regard sévère, effet du rapport entre la couleur claire des iris, la grande pupille noire et la cuvette tapissée de plumes blanches qui les entourent ; la tête de profil, tournée vers l’arrière dans le plan du corps. Elle est allée se poser un peu plus loin. L’œil est à demi fermé…, à demi seulement.

Dans les deux dessins le corps est représenté ramassé, la séparation avec la tête n’est pas marquée, et du fait des pattes courtes et épaisses le centre de gravité se situe très bas, ce qui donne une impression de stabilité. Le trait – du crayon, de la pointe sèche  − restitue le velouté du plumage, à la fois léger, doux et fourni.

 

(3)   Léon Bertin, « La Vie des animaux » dans Encyclopédie Larousse, 1950


Corvus Kamchatkensis – [Province d’] Arhangay – Souvenir de Mongolie –

Gravure du 22 septembre 2009. [Absent – Reproduit dans le livre page 208]

Pour cette gravure, deux croquis rapides ont été assemblés : quelques traits à l’encre captant l’attitude d’un corbeau venu se poser sur un poteau, son air ébouriffé, les reflets sur son plumage et l’esquisse au crayon d’un jeune cavalier qui traversa le champ de vision du dessinateur alors qu’il travaillait à un grand dessin. La différence d’échelle apporte dans cette petite gravure à la cuvette étroite l’immensité de l’espace que l’un, montant à cru, traverse tel un lointain descendant d’un conquérant des steppes, et que l’autre, Corvus corax sédentaire, contemple. Mouvement et immobilité se confrontent dans la diversité des tailles : cuivre effleuré en traits filants où s’élancent le cheval et son cavalier comme une forme lointaine et passagère du vent, profondément creusé pour obtenir le noir intense du plumage autour des surfaces laissées aux reflets et des crêtes indiquant le désordre mis par le vent qui le traverse en tous sens et en hérisse le contour, incisé en traits ondulants et humides le long du poteau qui attache l’oiseau à son territoire. Le corbeau et le cavalier sur son cheval regardent dans la même direction, peut-être vers un pays, à l’autre bout du continent, où le corbeau figure dans des légendes.



LA FIGURE HUMAINE


Le visage est inépuisable. « Il n’y a pas d’anecdotique, de secondaire, dans le visage, c’est comme le paysage, tous les éléments ont une raison d’y être et y sont d’une façon unique. Il faut assembler absolument tous les traits pour trouver l’expression. »


ANCIENS COMBATTANTS AU DÉFILÉ  –  [Province de] Hovd  – Croquis du 28 juillet 2008. [Dry points – Aartayush Tartbe]

Des croquis, réalisés pendant un défilé auquel assistaient des représentants de différentes ethnies lors d’une fête, ont été assemblés. A cette occasion, la diversité et la permanence des traditions locales s’exposaient : chacun des personnages porte un chapeau différent et deux d’entre eux des costumes hérités de temps anciens. Mais ces costumes sont ornés de médailles qui rattachent aussi ces vieux dignitaires provinciaux au temps précis de l’histoire récente en tant qu’anciens combattants distingués pour de hauts faits. Sur les visages affleure parfois la malice mais les yeux plissés ou cachés par des lunettes et les lèvres serrées ne laissent rien deviner de leur manière de s’arranger avec cette double appartenance. L’aubaine de personnages immobiles a permis à Francois Cayol de pousser le dessin suffisamment loin pour pouvoir transférer tels quels sa composition et ses valeurs à la gravure. Le trait restitue tous les détails des matières, façons et couleurs des chapeaux, des costumes et des médailles aussi bien que les tracés profonds qui s’opposent en mouvements contraires et peut-être tourmentés sur les physionomies.



LE VÉGÉTAL


Le grand balanzan [Absent- Reproduit dans le livre pages 96-97]

Cet arbre (Acacia albida) est un des grands arbres d’Afrique. C’est un des « arbres utiles » du Sahel, le seul à perdre ses feuilles à la saison des pluies et à offrir son ombrage pendant la saison sèche. C’est l’arbre emblématique du Mali. « Chaque village a son balanzan »  dit François Cayol, la ville de Ségou est d’ailleurs appelée « Cité des balanzans ». Ce dessin a été réalisé en novembre, au bord d’un des innombrables bras dont la boucle du Niger se couvre à la saison des pluies, à proximité de la ville de Mopti. « Mopti préside à la naissance du grand Niger, qui lance à partir de là un véritable réseau de bras et de canaux dans lesquels il enserre une multitude de mares et de lacs, amorçant la longue courbe qui va donner à toute la région son nom de ″ boucle du Niger ″ (4) ».

La navigation est à la fois vitale et des plus problématiques. Les bateaux ne peuvent naviguer que si la hauteur de l’eau le permet. Il vont lentement, s’échouent fréquemment sur les bancs de sable. Hauts-fonds et rapides contraignent parfois à la suspendre et les passagers doivent rallier un port plus en aval et prendre un autre bateau. Il s’agit d’embarcations à moteur ou manœuvrées à la perche, plus ou moins grandes, parfois couvertes, appelées pinasses, chalands ou pirogues, « ces longues et merveilleuses pirogues que l’on voit fendre silencieusement les eaux et dont certaines sont capables de transporter des tonnes de marchandises (4) ». François Cayol les nomme pour sa part “ pirogues foraines ”.

Sur ce dessin l’eau paraît peu profonde, fragile, livrée à l’évaporation. Dessin du temps qui s’étire, fuit, temps des années, des saisons, saison des pluies, saison sèche, et aussi temps de la journée africaine. « En Afrique, à midi tout bascule, le soleil, la lumière. La journée est courte, le temps du dessin est condensé sur quelques heures. Il résulte d’une recomposition à partir d’éléments provenant de différents moments de la journée ». Tout est léger. Et tout est tracé à l’horizontale, en long, l’ombre mince des arbres, la pirogue, la haie d’arbres à l’horizon, les filons d’herbe, semblant figurer la longueur de ce fleuve, les milliers de kilomètres le long desquels court l’eau. Les verticalités et les densités qui se dressent dans toute cette longueur semblent s’opposer au passage du temps, essayer de durer : silhouettes humaines, lignes verticales des constructions que l’on aperçoit en haut à droite, palmiers rôniers, et les balanzans, et surtout ce grand balanzan-là avec sa touffe épaisse et les innombrables mouvements de ses courbes.


(4)Amadou Hampâté Bâ , Amkoullel l’enfant peul, Actes Sud 1991, 1992



Le minéral


Les Sainte-Victoire


Il y a eu deux dessins de la Sainte-Victoire, deux « grands dessins ». L’un et l’autre représentent le versant sud de sa partie occidentale. Le premier d’assez loin, en deçà du Cengle, la barrière rocheuse qui ceinture la montagne, le second de plus près, mais encore d’un peu loin, parmi les vallonnements à quelque distance de la paroi.

L’éloignement de la Sainte-Victoire, et le cheminement vers elle, trajet physique et trajet mental, sont évoqués à plusieurs reprises par des écrivains à propos de Cézanne. Raymond Jean (6) en souligne l’importance lorsqu’il s’agissait pour le peintre « d’aller à la Sainte-Victoire ». « Il lui fallait parvenir à l’endroit exact où il voulait peindre. En ce sens, aller sur le motif était vraiment à prendre au sens propre, où motif, certes, était important mais où aller sur était essentiel aussi, le verbe impliquant tout ce mouvement, tout cet effort de déplacement, incertain, aventureux, difficile, parfois pénible, qu’il fallait consentir pour arriver au point choisi ». Charles Juliet, dans son adresse à Cézanne (8), rattache la découverte de son œuvre à sa connaissance de cette région, où il a vécu enfant, « au début, je suis allé vers votre œuvre pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la peinture. Votre nom s’identifiait pour moi à la montagne Sainte-Victoire et à Aix-en-Provence […] » et décrit le déroulement de sa marche vers la montagne lorsqu’il est retourné sur place : « Hier matin, par une douce journée d’arrière-saison à la lumière atténuée, j’ai flâné sur la route du Tholonet. J’ai bien sûr retrouvé tout ce dont je me souvenais : la succession des petites côtes et descentes, les virages, les talus, les troncs d’arbres, la terre ocre foncé […] puis à un certain moment l’apparition, entre le vert des frondaisons, du gris pâle de la Sainte-Victoire se détachant sur le bleu du ciel ». Dans l’hommage que Peter Handke rend à Cézanne et à la Sainte-Victoire (7), récit de l’imprégnation de son être d’écrivain par lui et par elle, il relate les étapes de son propre cheminement vers eux. A l’exposition Cézanne au Grand Palais (en 1978), il découvre « la Sainte-Victoire que le peintre avait représentée sous différents angles mais toujours d’en bas, de la plaine et de loin. […] A l’exposition je ne m’attardai guère devant la montagne. Avec le temps, pourtant, elle prit en moi une couleur de plus en plus foncée et un jour, longtemps après, je pus dire que j’avais un but ». Il va plusieurs fois marcher vers la montagne, s’en approchant chaque fois un peu plus, et analyse les effets des variations de la distance sur sa vision. « Souvent, il y a quelque chose de particulier à observer sur des surfaces éloignées : ces arrière-plans, aussi uniformes soient-ils, changent aussitôt que dans l’espace libre au premier plan un oiseau, par exemple, s’envole. Les surfaces reculent et prennent forme de façon sensible ; l’air entre elles et l’œil devient palpable ».

Le premier dessin [Absent], qui représente la montagne vue d’en deçà du Cengle, est divisé en trois plans horizontaux par des lignes obliques aux pentes faibles. Celle du milieu, rythmée par quelques bombements, descend légèrement vers la droite. Les deux autres montent, vers la droite aussi. Sur le devant il s’agit probablement de la route, au fond c’est la ligne de crête de la montagne. Le dessin est tourné vers ce côté droit, vers la suite du massif qui s’étend à l’est. Toujours du même côté, à quelque distance du bord, les deux premières lignes se rencontrent avec un tracé marquant un fond de vallée qui descend en méandres du point le plus élevé. Le long des deux premières lignes, des stries marquent des affleurements rocheux verticaux. Autour s’accroche une végétation sans beaucoup d’épaisseur, réfugiée le long de ces arêtes ou qui se dissémine en pointillements, instants végétaux parsemant la durée minérale qui s’étire sur la surface d’aspect désertique du plateau. La montagne reste au loin, peu différenciée. Son point culminant n’est pas véritablement un sommet mais le point le plus élevé d’une pente qui reste assez faible. Elle est tout en longueur, très peu en élévation. Cette particularité la rend plus massive, plus dense et en même temps quelque chose lui manque comme si elle n’avait pas achevé son mouvement, sa surrection.

Le second dessin, que l’on voit ici, [(Color) Drawings CA 15] est aussi tourné du côté droit, vers la suite du massif. Les deux parties qui le composent, les abords vallonnés et le flanc de la montagne, sont très contrastées. Au premier plan, se pressent sous le crayon les mouvements de l’épaisse couverture végétale d’où s’élèvent quelques troncs de pins, fins, élancés, penchés, qui font penser aux pins de Cézanne, sous lesquels, empêchée par le climat sec et venteux de grandir beaucoup elle se concentre, se développant horizontalement et par le dedans, se couvrant d’épines, s’organisant pour économiser l’eau rare. Au-dessus la paroi, plus proche que sur le premier dessin, apparaît très accidentée, restituée maintenant dans l’extrême diversité des mouvements et contre mouvements des roches qui au fil du temps difficilement concevable de l’échelle géologique ont constitué la structure de la montagne. On se demande quelle est la part de l’orogenèse, celle de l’érosion, celle liée à la nature des roches et aux changements climatiques. Quoi qu’il en soit ces mouvements ont abouti à cet aspect fissuré, guilloché, qu’il importe à François Cayol d’incorporer au dessin. Il rend avec virtuosité cette diversité et ici encore cette durée minérales. Alors que sur le premier dessin le gris est léger, estompé, le paysage éclairci par l’air et la lumière, peut-être d’avant midi, le ton est ici plus foncé, le paysage, plus proche, impose le détail de ses densités végétales et minérales. Une concession à la civilisation s’exprime par la présence d’un petit pré au premier plan sur la gauche, entre des pins, où paissent trois chevaux. 

Sur les deux dessins il y a à gauche un angle, d’ouverture identique sur chacun d’eux, point de contact entre la paroi rocheuse, le plateau et le ciel. Hautes dans celui-ci, quelques nébulosités d’aspect orageux introduisent encore une autre durée, liée cette fois à la nature instable de l’atmosphère.


(5)Raymond Jean, Cézanne, la vie, l’espace, Editions du Seuil, 1986

(6)Peter Handke, La leçon de la Sainte-Victoire, Editions Gallimard, 1985

(7)Charles Juliet, Cézanne un grand vivant, P.O.L. éditeur, 2006



MATERIAUX, CARNETS, ECRITURE (Travel Notebooks)


Lors de ses expositions de dessins et gravures, François Cayol rassemble sur une table certains de ses carnets et différents objets naturels ramassés et cueillis au fil de ses journées de travail : cailloux, herbes, plumes, fleurs, graines, morceaux de bois, coquillages. Il ne s’agit pas pour lui d’une collection, il n’a pas cette passion, mais ces objets, tout comme les notations confiées aux carnets, font partie de l’environnement du dessin. Telles ces curieuses petites sphères brunes percées de trous évoquant la physionomie humaine. Avec ces yeux, ces nez, ces bouches qui dessinent des traits à la fois élémentaires et très expressifs, elles ont l’apparence de masques. Ces objets naturels qui portent par hasard des traits humains l’enchantent. Il révèle que ces petites sphères sont des abdomens d’insectes. Ces trous sont les cavités où s’articulaient les pattes qui ont été enlevées ou qui sont tombées.

Quelques carnets sont ouverts sur la table. Ils contiennent des croquis, des listes, des récits de petits événements, de rencontres, des anecdotes, des notes sur les choses vues et entendues, sur les sensations éprouvées jalonnant la journée du dessinateur. La mémoire visuelle, explique François Cayol, ne dure que quelques heures, ensuite tout s’évapore, alors qu’ «  avec un croquis ou avec quelques mots il est possible de tirer un fil, les choses peuvent revenir, un moment entier peut revenir à partir d’un mot ou de quelques traits ». Le dessin en cours est parfois lui-même commenté par de courts textes : les sons, les couleurs, les odeurs, la température, la luminosité et leur évolution sont nommés. Tandis que devenant œuvres les dessins sortent du temps, croquis et écrits alternent au long des carnets pour conserver, voyage après voyage, la mémoire de leur réalisation.

Cette «  écriture de dessinateur », ainsi qu’il la qualifie, a aussi une fonction documentaire au sein même de l’œuvre. Il l’introduit dans ses dessins non seulement comme élément d’identification comprenant titre et date, mais aussi sous la forme de véritables commentaires où voisinent les notations des circonstances précises de leur exécution et, par exemple, l’approche sensible du sujet se doublant d’une approche scientifique, le nom savant du végétal ou de l’animal dessiné et son nom d’usage, parfois dans plusieurs idiomes, plusieurs écritures, ainsi que les liens qui peuvent exister entre eux, notamment entre les types de végétaux et les types d’oiseaux. La présence simultanée de l’écrit et de l’image provoque un décalage qui illustre combien ils s’adressent différemment à la perception et à la compréhension. Ces commentaires paraissent donner une clé et ajoutent à la représentation graphique un sens quelquefois autre. Ainsi, sur les bords d’un dessin représentant un papillon aux ailes refermées dessiné sous trois angles différents :




[Absent - Reproduit dans le livre page 21]


Deux écailles pudiques, Cymbalophora pudice

les 21, 22 et 24 septembre

La mathilde, dans le soleil du matin. Endormie parmi des œufs épars sur la table à même de minuscules grains de semoule.